William Kentridge, un poème qui n'est pas le nôtre
- Lézard Amusé
- 15 oct. 2020
- 5 min de lecture
Une exposition à (re)découvrir jusqu'au 13 décembre 2020 !
Si vous ne l'avez pas encore fait, allez visiter cette première grande rétrospective en France consacrée à l'artiste sudafricain William Kentridge et contemplez son œuvre diversifié au fil des salles du musée du Lam de Villeneuve d'Ascq.

William Kentridge est né en 1955 à Johannesburg, en Afrique du Sud. L'Apartheid, politique de ségrégation raciale, était déjà imposée depuis 1948. Kentridge a grandi dans un climat de violence, de haine et d'injustices sociales envers et contre les populations noires du pays. Après des études qui ne l'intéressent finalement pas, Kentridge se tourne vers le dessin en 1985 et débute ainsi sa carrière.
"Parce qu’elle fait dialoguer les formes artistiques, l’œuvre de Kentridge comporte souvent une dimension spectaculaire."
Une œuvre d'art totale
L'expression d'art total peut avoir plusieurs sens. Ici, elle désigne notamment la polyvalence de l'artiste, à la croisée des disciplines. Kentridge mêle effectivement dans son œuvre art plastique, performance, théâtre, opéra ou encore sculpture. En somme, c'est un artiste touche à tout, qui expérimente sans cesse pour renouveler sa pratique artistique.
Son œuvre est ainsi qualifiée d'œuvre d'art totale par le fait que Kentridge synthétise tous les arts et fait dialoguer les formes artistiques entre elles. De plus, Kentridge engendre parfois une réflexion collection autour ses réalisations en faisant appel à de nombreux collaborateurs.

Et finalement, la dimension totalisante de son œuvre ressort par le fait que ses créations s'auto engendrent, c'est à dire qu'une idée peut mener à de nombreux autres projets. C'est notamment le cas de l'installation The refusal of Time (salle 8) à l'origine de la pièce de théâtre Refuse the Hours à Avignon 2012.
A cela s'ajoute un caractère universel, associant grande et petite histoire afin de mener une réflexion sur la condition humaine et les dérives du pouvoir.
Raconter la grande et la petite histoire
Nous l'avons vu, Kentridge est né en Afrique du Sud au moment de l'Apartheid, et il a été marqué par les injustices perpétrées contre la population noire du pays.
"J'ai fait toute ma scolarité en sachant que je vivais dans une société anormale où il se passait des choses monstrueuses."

Il a dépeint ces dérives totalitaires dans ses œuvres, et notamment dans Sophiatown, première pièce de l'artiste dénonçant les crimes de l'Apartheid. Au travers d'une ambiance visuelle et sonore particulière, Kentridge rappelle le destin du quartier de Sophiatown à Johannesburg, complètement rasé et duquel les habitants noirs ont été chassés.
Datée de 1989, cette œuvre aux allures de théâtre d'ombre ou de BD révèle déjà les engagements esthétiques et politiques de William Kentridge.

En 1996-97, il établit un portfolio de 8 gravures nommé Ubu Tells The Truth où Ubu, le personnage de la pièce d'Alfred Jarry Ubu Roi (1896) incarne les horreurs de la ségrégation raciale. Il est le symbole de la violence de la politique ségrégationniste et devient par là même un emblème des dérives totalitaires.
Kentridge met en scène l'absurdité du monde contemporain et avec la folie d'Ubu et les horreurs de l'Apartheid, le tout sous un aspect burlesque pour alléger le propos.
William Kentridge propose finalement une reconstruction de la mémoire collective afin de rendre visibles les zones d'ombre et ce qu'a voulu cacher l'histoire officielle.
Le processus artistique : du dessin à l'animation
Dans les années 80, Kentridge réalise son premier film d'animation dans lequel il pose les bases de son vocabulaire formel. Autrement dit, il va définir quelles formes seront récurrentes dans ses œuvres. Dans ce film d'animation, on va donc retrouver ses fameux dessins noirs et blancs réalisés au fusain, composés par apparition et effacement.
Il marque ici le point de départ d'un travail sur l'image qu'il poursuit encore aujourd'hui. Ce travail est sans cesse enrichi par les différentes techniques et médiums qu'il emploie : le dessin bien-sûr, la gravure, le collage, l'impression, la sculpture …

Kentridge privilégie le fusain car c'est un procédé non définitif. Il permet de changer d'idée en cours de route, d'effacer son trait en un coup et de recommencer.
Les traits effacés peuvent laisser des traces et deviennent un témoin de la réflexion de l'artiste sur son dessin.
Le fusain constitue ainsi son médium de prédilection par sa capacité à être travaillé à l'infini. Il est l'outil idéal du processus créateur car laissant place à l'imprévu.

L'usage du fusain lié à l'animation est présent dans les "7 fragments de Georges Méliès", série de vidéos réalisées par Kentridge en hommage au réalisateur et illusionniste du XIXe siècle. Il est connu pour avoir réalisé les premiers films de science fiction et avoir inventé les effets spéciaux. Les films muets de Kentridge mêlent ici magie, poésie et humour, caractéristiques empruntées au cinéma de Méliès.
On retrouve cette idée dans le film O Sentimental Machine (2015), plutôt comique et léger racontant l'histoire d'une secrétaire qui tombe amoureuse d'une machine, et on y voit Kentridge incarner Trotski.
Finalement, au fil des années, la pratique de William Kentridge a évolué vers des œuvres immersives à la fois spectaculaires, théâtrales et émouvantes.
Un art processionnel
Le motif de la procession est un héritage antique très présent dans l'œuvre de Kentridge. Il est le moyen pour lui de juxtaposer les figures et les événements de la grande et de la petite histoire, collective ou personnelle. Ce télescopage d'images et de sources diverses sur un même plan ouvre à l'interprétation de ce nouveau récit historique.
La fresque qu'il réalise à Rome le long du Tibre fait partie des processions créées par Kentridge. Mesurant 10 mètres de haut et 550 mètres de long, Triumphs and Laments représente une centaine de personnages disposés en frise, appartenant à la mythologie ou au réel, liés à des références artistiques et historiques. Cette procession mêle splendeur et misère / gloire et défaite car "chaque statue honorant un héros est un hommage au désastre qui a endeuillé des milliers de personnes". Ces figures apparaissent comme des ombres sur la muraille du quai. Et cette simultanéité de l'image, ce télescopage, permet de façonner une nouvelle lecture de notre histoire collective.

Autre procession impressionnante : The Head & The Load présentée en 2018 à Londres pour le centenaire de la Première Guerre mondiale. Celle-ci rend hommage aux millions de soldats africains sacrifiés durant le conflit, pour une guerre qui n'était pas la leur.
L'exposition du Lam, première grande rétrospective sur William Kentridge, expose ainsi les tous premiers dessins de l'artiste jusqu'à sa dernière œuvre dessinée sur les murs du Lam.
Vous y verrez des images poétiques, sensibles, burlesques et parfois même étranges. Ses œuvres inspirent des ambiances sonores et visuelles d'une grande force plastique, teintées d'une réflexion perpétuelle sur la condition humaine et les dérives du pouvoir.
A voir jusqu'au 13 décembre !
*Ouvert du mardi au dimanche, de 10 à 18h, achat du billet en ligne ou sur place
Vous pouvez d'ores et déjà télécharger le guide visite en version adulte ou enfant sur le site du musée.
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