Les géants du Nord et la légende de la fondation de Lille
- Lézard Amusé
- 20 août 2020
- 5 min de lecture
Comme nous vous l'avions annoncé, Lézard Amusé s'est penché cette semaine sur deux véritables symboles de la ville de Lille.
Vous les avez peut-être déjà aperçus au détour d'un rue, sur le parvis de Notre-Dame de la Treille ou simplement dans le hall d'entrée de la mairie de Lille. Nous parlons bien-sûr des géants Lydéric et Phinaert, figures mythiques et légendaires de la ville.
Quelle est leur histoire ?
Il existe évidemment différentes versions de cette histoire où certains détails divergent.
La légende prend place au VIIe siècle, vers 620. On raconte que le bandit Phinaert avait établi son repaire au château du Buc, à l'emplacement actuel de Notre-Dame de la Treille. Avec ses hommes de main, Phinaert dressait des embuscades afin de piller et terroriser les quelques courageux passants au travers du Bois-sans-Mercy.
Salvaert, prince de Dijon, accompagné de sa femme enceinte Ermengaert (ou Hermengarde) devaient se rendre en Angleterre et pour cela, ils devaient traverser cette forêt. Ils se trouvèrent pris au piège par les hommes de Phinaert, Salvaert fut assassiné tandis que sa femme réussit à prendre la fuite.
Peu de temps après sa fuite, elle accoucha d'un fils avant de se faire enlever et séquestrée au château de Phinaert. L'enfant fut recueilli par un ermite et celui-ci nomma le garçon Lydéric.
L'ermite s'occupa de lui jusqu'à ce qu'il devienne adulte. A ses 18 ans (ou 20 selon les versions), le vieil homme raconta toute son histoire à Lydéric.
Lydéric se mit en tête de venger ses parents, et pour cela il se rendit à la cour du roi Dagobert Ier (602 ou 605- 638 ou 639) afin de contraindre Phinaert à prendre part à un duel judiciaire.
Lydéric, en héros, vengea ses parents grâce à sa lame, et libéra la région de la terreur instaurée par Phinaert.
" En mille endroits le corps de Phinart est touché ;
Sa cuirasse est à jour, son glaive est ébréché ;
Sa monture haletante est couverte d'écume.
Enfin dans un transport que la colère allume,
De toute sa hauteur dressé sur l'étrier,
Elevant ses deux bras au-dessus du cimier,
Il fond sur son rival, fort du bond qui l'entraîne,
Frappe à faux, perd l'aplomb, et d'un bloc sur l'arène
Il tombe.
[...]
Et Lydéric de son glaive l'achève."
J.-B. Deletombe, Lydéric, page 47, vers 7 à 15, 1868, BnF
En récompense, Lydéric reçut le titre de Forestier des Flandres ainsi que la propriété du château du Buc. Ce titre précède celui de Comte de Flandre attribué par le roi afin de mettre fin aux pillages dans les forêts de Flandre.
Petit à petit, des hommes et des femmes vinrent s'installer autour du château. Les marécages et les plaines boueuses des alentours furent assainis afin de les transformer en terres cultivables.
C'est ainsi que Lydéric est devenu célèbre pour son rôle joué dans la fondation de la ville de L'Isle, devenue plus tard Lille.
Finalement, ces deux ennemis se retrouvent liés pour l'éternité, côtes à côtes au bas du beffroi de Lille. Ils ont été sculptés dans le béton frais par l'artiste Carlo Sarrabezolles en 1929. Lydéric est reconnaissable, à gauche, par son aspect juvénile, son épée mais aussi son oiseau, tandis que Phinaert, à droite, est reconnaissable par sa barbe, son casque, sa hache ainsi que son bouclier.
Les géants célébrés
Au-delà du récit, Lydéric et Phinaert se sont incarnés sous forme de géants.
Un géant est donc une effigie immense, ici de personnages légendaires. On retrouve également des mannequins représentant des figures locales, contemporaines, historiques, bibliques, mais aussi des modèles d'animaux communs ou fantastiques comme les dragons.
Les géants peuvent être portés par une ou plusieurs personnes, ou mis sur roues afin de s'animer lors des cortèges et autres fanfares au cours des fêtes traditionnelles du Nord et de la Belgique. Ils incarnent l'identité collective de la ville ou du quartier auxquels ils sont attachés et possèdent chacun une particularité ainsi qu'une histoire qui leur est propre. Ils possèdent un sens identitaire fort.
Ces mannequins peuvent mesurer jusqu'à 10 mètres de haut, pour 350 kg voire plus et leur création nécessite des heures de travail mais aussi une maîtrise parfaite des différentes techniques de fabrication. L'artisan en charge de leur création est l'artisan "géantier". Une fois créé, chaque géant possède son état civil et son jour de sortie. Ainsi, les géants naissent, grandissent et se marient.
Quand ils sortent, ces géants sont mis en scène dans les rues de leur ville et dansent au rythme de la fanfare. Ils peuvent également rejouer les scènes symboliques de l'histoire de leur ville.
Les géants du Nord ont été inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité en 2008, témoignant alors de leur importance pour le folklore local.
L'histoire des géants
Il n'existe pas de traces des géants avant le milieu du XVe siècle. On les mentionne ensuite dans divers écrits contemporains, comme dans des comptes rendus de fêtes locales.
L'origine est d'abord religieuse. Sont surtout représentés des personnages de la Bible, de la Légende dorée ou de la chanson de geste. Puis, les processions vont devenir davantage profanes.
Peu de géants sont présentés à la Renaissance ou pendant les Lumières. Mais le mouvement renaît après la Révolution puis au XIXe siècle. A Lille, on retrace l'histoire de la cité dans des scènes hautes en couleurs lors des Fastes de Lille.
Dans le Nord, ce sont les Gayants (= géants) de Douai qui semblent être les plus anciens, avec une première procession en 1530.
Concernant Lydéric et Phinaert, leurs représentations actuelles incarnent la 4e génération de géants à Lille. Leur première sortie reste floue puisque aucun document n'atteste de cette apparition, mais ils pourraient avoir été présentés lors de la procession de 1830.
En 1956, ces géants sont composés de résine et sont montés sur roue. Ils mesuraient 6m50 de haut. Mais, suite à un incendie en 1995 au Palais Rameau où ils étaient exposés, la ville a dû lancer un appel à candidature afin de trouver l'artisan de leur reconstruction. C'est l'association La Ronde des Géants qui a remporté le marché et a donc reconstruit les géants. Ils mesurent 6m20 et pèsent 280kg. Lydéric et Phinaert sont désormais exposés de façon permanente dans le hall d'entrée de la mairie.
L'association étudie, promeut et sauvegarde les Géants. Elle est également responsable d'un inventaire des Géants du Nord de la France et de leurs fêtes. Toutes ces données sont compilées dans la Géanthèque.
Les autres figures de géants
On dénombre entre 500 et 600 géants dans le Nord, mais aussi presque 2000 en Belgique. De nombreux défilés sont ainsi organisés à Bruxelles, Mechelen ou encore à Termonde/Dendermonde où le cheval Bayard issu du cycle de Charlemagne est par exemple représenté.
Dans le Nord, beaucoup de villes entretiennent cette tradition, comme à Cassel avec Reuze Papa, légionnaire romain créé en 1827 et Reuze Maman créée en 1860 et mariée au précédent en 1892. A noter que Reuze signifie géant en flamand.
A Boulogne-sur-Mer, on retrouve le pêcheur Batisse et sa femme Zabelle inaugurés en 1923 pour les fêtes organisées sur la côte.
A Lille, on peut également nommer Jeanne Maillotte, courageuse lilloise ayant repoussé de sa fourche une bande de hurlus venus de Courtrai. Les hurlus, dans la tradition populaire lilloise, sont des protestants calvinistes responsables de pillages et agressions dans la région. Ainsi, Jeanne Maillotte les aurait repoussés de sa fourche ou de sa hache.
Dans le quartier Saint-Sauveur c'est le géant Raoul de Godewarsvelde / Francis Delbarre qui s'illustre lors des fêtes. Celui-ci prend les traits du chanteurs lillois du même nom décédé en 1977. Son premier géant a été baptisé en 1982.
Notre point sur les géants du Nord touche à sa fin. Les Arts à Musées espèrent que cet article vous aura plu !
Pour en savoir plus sur les géants des Hauts-de-France et découvrir leur cartes d'identité : https://www.federationgeants.fr/
Il existe également un musée, la Maison des Géants, à Ath en Belgique pour y découvrir la "création d'un géant, les différents systèmes de portage et la transmission de la fête de génération en génération".
18 Rue de Pintamont, 78000 Ath
00 32 (0)68 68.13.00 / office.de.tourisme@ath.be
A la semaine prochaine !
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