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L'Art fin-de-siècle, du Symbolisme à l'Art Nouveau

  • Photo du rédacteur: Lézard Amusé
    Lézard Amusé
  • 14 mai 2020
  • 10 min de lecture

La fin du XIXe siècle voit apparaître une succession de mouvements, entrant alors en contradiction avec les styles précédents dits « historicistes », tournés vers le passé. Ce développement artistique au caractère contradictoire s’oppose au réalisme, à l’impressionnisme et vient finalement assurer le passage d’un siècle à l’autre, du XIXe siècle au XXe siècle. Les artistes aspirent à un art neuf. Ces mouvements de la fin du siècle s’organisent en réaction à l’industrialisation, contre la modernité. L’Angleterre, berceau de la révolution industrielle, est la première à exprimer sa volonté d'un retour à l’artisanat.



Aux origines du Symbolisme, la Confrérie des Préraphaélites


Le préraphaélisme naît en 1848 quand plusieurs peintres se rassemblent au sein d’une confrérie, coopérative artistique où se retrouvent John E. Millais (1829-1896), William H. Hunt (1827-1910) et Dante G. Rossetti (1828-1882). Ils considéraient l’art comme pollué par le conformisme de l’Académie et souhaitaient que leurs œuvres influencent la société et ses mœurs changées par la Révolution Industrielle.

Ce mouvement, présent dans divers domaines artistiques, tient à se détacher de la modernité qu’il rejette. Il revendique un monde mystique et médiéval, souvent ésotérique, empreint de romantisme chevaleresque. Il est encouragé par les théories esthétiques de John Ruskin (1819-1900), peintre, poète, critique d’art anglais. Il est en quelque sorte le maître à penser de la confrérie, auteur des Modern Painters dont le volume 2 (1846) promeut la fonction symbolique dans l’art exprimée par le biais de la nature, sans se détacher d’une technique réaliste.

Ils ambitionnent de revenir à la Première Renaissance italienne au style minutieux et aux couleurs éclatantes, celle de la génération de peintres avant Raphael (1483-1520). Ils s’opposent ainsi à la peinture jugée frivole du XVIIIe et plus largement à la décadence dans l’art qui leur est contemporain.


J.E. Millais, Ophélie, 1851-52, Londres, Tate Britain

Ils sont à la recherche de l’évasion poétique vers un monde perdu de chevalerie idéalisé et légendaire. Les thèmes mis en avant sont les scènes religieuses, inspirées de la Bible, mais aussi de la littérature et de pièces telles que celles de Shakespeare. Les œuvres préraphaélites s’imprègnent d’un certain onirisme que l’on retrouvera chez les Symbolistes. Le rêve y est donc très représenté, témoin des activités de l’âme soumise à l’introspection.


D.G. Rossetti, Beata Beatrix, 1872, Londres, Tate Britain

La religion et le mysticisme (de l’orthodoxie catholique en passant par l’occultisme) y tiennent une part importante, témoignant de la renaissance du sentiment religieux en art. Les œuvres doivent mener à la méditation.

La confrérie ne connaîtra qu’une brève existence, mais elle va tout de même poser les prémices de l’interrogation de la fin du siècle, remettant en question la modernité. Après 1855, le groupe se dissout peu à peu, tandis que d’autres artistes le rejoignent tel que Edward Burne-Jones (1833-1898) ou encore William Morris (1834-1896) qui, marqué par le renouveau de l’intérêt pour l’art gothique, annonce les futurs projets de l’Art Nouveau.



Avant celui-ci, les préraphaélites peuvent être considérés comme les précurseurs des symbolistes puisque ses caractéristiques et thèmes vont largement les influencer et les inspirer.


Vers 1880, le Symbolisme


Tout comme le préraphaélisme, le symbolisme s’imprègne d’un idéalisme qui va transcender toute la production artistique. Il est régi par la déception d’un groupe d’artistes face à la réalité, cherchant dans l’art un refuge afin d’entretenir la nostalgie d’un âge d’or légendaire. L’esthétique symboliste se distingue par la suggestion, l’ambiguïté mais aussi le mystère et l’introspection. Les artistes souhaitent dépasser le monde des apparences où l’évocation des états d’âme prime.


G. Moreau, Jupiter et Sémélé, 1894, Paris, Musée G. Moreau

Les scènes mythologiques sont privilégiées, et l’or devient un matériau à part entière afin d’accentuer le mysticisme des œuvres. Les cycles des légendes médiévales mais également la lecture ésotérique des mythes bibliques, gréco-latins et hindous servent le discours symbolique sur la condition humaine. Aussi, l’imaginaire, la magie ou bien la mort ont largement été exploité par ces artistes.

Puisqu’il devient difficile de trouver un espace pour le spirituel dans le monde matérialiste, l’onirisme va se placer à la base de cet art qui explore le « moi ». L’inconscient et l’instinct guident les artistes dans leur recherche artistique mais également dans leur enquête sur ce qui fonde l’identité de l’homme. Certaines interrogations se joignent à la psychanalyse naissante.


Ce nouveau contenu ajouté par les symboles nécessite d’en connaître les clés. De fait, il s’agit d’un art intellectuel allant au-delà des apparences. Le symbole fait office de thème pictural où le sens prime sur l’aspect plastique. Le contenu symbolique mêlé aux éléments de la nature rappelle le préraphaélisme.


P. Puvis de Chavannes, Le Rêve, 1883, Paris, Musée d'Orsay

Parmi les peintres marquants du Symbolisme, on retrouve Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) dont les œuvres à l’aspect froid, inerte, aux couleurs peu contrastées et aux dessins cernés traduisent par leur grande dimension une volonté décorative, à l’image des fresques. L’atmosphère calme et quasi inanimée qui règne dans ses œuvres évoque de lointains souvenirs.




Gustave Moreau (1826-1898) est également très célèbre pour ses figures mythologiques aux couleurs éclatantes. Il exploite les mythes orientaux, les fables ainsi que de nombreux épisodes de la Bible. Les monstres mythologiques y affluent et par leur signification associée ajoutent du contenu symbolique aux œuvres.


Enfin, pour en citer un dernier, Odilon Redon (1840-1916) se démarque par la grande attention au détail dans ce symbolisme étrange qu’il développe. L’atmosphère qui imprègne ses œuvres laisse apercevoir un monde littéraire et intellectuel. Le thème de l’œil est un symbole récurrent de la conscience individuelle quand il est présenté ouvert ; et symbole de la vie intérieur et des pensées intimes quand il est fermé. Sous certains aspects, son œuvre peut être considéré comme surréaliste.


Finalement, le symbolisme se poursuivra ensuite au début XXe avec les nabis et les fauves, dont l’influence sera décisive pour l’expressionnisme dans les années 1910. Mais d’abord, la fonction décorative parfois très marquée se retrouve dans l’Art Nouveau, et avant cela dans le mouvement anglais Arts and Crafts.



Le mouvement Arts and Crafts, un retour à l’artisanat traditionnel


A partir de 1754, le gouvernement britannique encourage la collaboration dans les arts et métiers avec la fondation en 1835 de la Société des Arts ainsi que des écoles nationales de dessin destinées à élever le niveau et le contenu esthétique dans l’industrie. D’ailleurs, Ruskin et les membres de la confrérie préraphaélite vont y donner des cours aux futurs orfèvres, bijoutiers, ébénistes du pays.


E. Burne-Jones, Sainte Cécile, vers 1900, Morris and Co

La préfabrication et la production de masse qui s’étaient développés dans le premier quart du XIXe siècle avaient pratiquement effacé les systèmes des corporations de métiers traditionnels. L’art et l’industrie ont alors tenté d'évoluer main dans la main.

Aussi, des artistes ou critiques comme Ruskin ont manifesté leur volonté de renouer avec la tradition médiévale. Cette défense de l’artisanat interpella le jeune William Morris qui devint l’un des principaux acteurs de la renaissance de la tradition des métiers. Morris pensait que le capitalisme était responsable de la décadence de l’art.

Le mouvement Arts and Crafts (ou Arts et Artisanats) tire donc son origine de ces manifestations. Il fut nommé en raison de l’Arts and Crafts Exhibition Society de Londres (1888) afin de promouvoir l’exposition des arts décoratifs aux côtés des beaux-arts.

Morris fonda en 1861 sa propre entreprise afin de créer des meubles originaux selon les lignes de production des ateliers médiévaux. Il chercha à créer un art pour l’homme, adapté à son quotidien. Mais il fut vite confronté à un problème. Son souhait était de produire pour le grand public, or ses objets manufacturés se vendaient chers et étaient finalement réservés à une élite. Sa production s’étendait du papier-peint, aux meubles en passant par la tapisserie et proposait des designs créés par les membres du mouvement tel que Burne-Jones ou Rossetti.

Leur style s’est rapidement imposé même si l’influence de Morris ne s’est fait sentir qu’à partir de 1870. Les compositions sont ornementées d’entrelacs, de reliefs aux figures celtes ou encore d’enluminures de manuscrits médiévaux.


En faisant le souhait d’inscrire l’art dans le quotidien, Morris, héritier des préraphaélites, et le mouvement Arts and Crafts annoncèrent les futurs projets des partisans de l’Art Nouveau.



Autour de 1900, L’Art Nouveau


L’Art Nouveau assure la transition entre les deux siècles. Il est également né du désir d’évasion formulé par les romantiques et tout comme les préraphaélites et le mouvement Arts and Crafts avant lui, il est guidé par un idéal de fraternité où renaissent les guildes et autres confréries, le tout motivé par la redécouverte de techniques anciennes. Sa présence se fera surtout sentir après 1890 en architecture,dans les arts décoratifs et les arts appliqués.

Ce style original intervient à un moment où la production devient résolument moderne et où les formes se standardisent. Morris et Ruskin avaient ainsi estimé ces objets sans âme, de qualité inférieure. Les artistes cherchent à lutter contre la banalité de la production de masse, en privilégiant les caractéristiques naturelles des matériaux et en introduisant de la beauté même dans les produits du quotidien. Ce style neuf doit satisfaire les exigences de la vie contemporaine.

L’Art Nouveau puise également dans le Symbolisme et le préraphaélisme où certaines œuvres d’Edward Burne-Jones sont annonciatrices du mouvement par l’utilisation de formes ondulantes dans les chevelures et les compositions florales.


R. Lalique, Femme Libellule, vers 1897, Lisbonne

En effet, l’Art Nouveau est fait de courbes et de contre-courbes à l’image de végétaux. Les artistes produisent une offre de qualité, faite de formes nouvelles afin de renouveler les arts décoratifs (orfèvrerie, bijoux, céramiques, verre…). Règnent alors l’exubérance dans l’ornementation, les formes irrégulières, l’asymétrie le tout guidé par une forte inspiration de la nature.





Mais le mouvement ne se limite aux formes sinueuses et aux arabesques. En effet, certains artistes se sont tournés vers une production plus sobre où la géométrie prime. Dans tous les cas, l’art nouveau est surtout un art décoratif d’interprétation facile dont le succès auprès du public est immédiat.

Le style se compose de différents langages artistiques qui varient selon les régions et les artistes. Par exemple, en France et en Belgique, l’Art Nouveau est abstrait et structurel, dynamique et à forte tendance symbolique. Le style de l’Ecole de Nancy quant à lui met l’accent sur une conception florale où les organismes sont en croissance. Ensuite, le groupe de Glasgow en Écosse place une conception linéaire à tendance également symbolique. Et enfin, en Allemagne et en Autriche, la conception de l’Art Nouveau est davantage constructive et géométrique. Ces différences témoignent de la richesse et de la variété du style, mais également de sa complexité. Aussi, certains principes peuvent être juxtaposés et coexister.


L’architecture


L’Art Nouveau marque l’abolition de la séparation entre structure et ornement au profit d’une conception organique de l’habitat. Les constructions sont alors perçues comme des êtres vivants où tout est lié. De plus, le concept d’art total émerge et le cadre de vie s’orne de pièces d’art. Le fer s’impose et s’adapte aux formes organiques, tout en épousant la pierre, le bois ou la brique.

V. Horta, Hôtel Tassel, escalier, 1893, Bruxelles

C’est plus spécialement en Belgique que se développe l’Art Nouveau en architecture. Victor Horta (1861-1947) est un architecte phare notamment grâce à son usage du fer comme élément décoratif et structurel. Son architecture est novatrice puisqu’il crée des espaces intérieurs continus à l’éclairage raffiné. Il influence Hector Guimard (1867-1942), principal représentant de l’Art Nouveau en architecture en France (par exemple avec ses stations de métro parisiennes).


On voit apparaître l’Art Nouveau ondulant, comme celui d’Horta, mais également l’Art Nouveau géométrique que l’on retrouve dans l’école de Glasgow et chez l’architecte Charles R. Mackintosh (1868-1928) aux lignes orthogonales et rectilignes. De plus, Mackintosh intègre à ses formes la sobriété de l’art japonais. Toutefois, l’Art Nouveau s’est peu implanté en Grande-Bretagne.


Les arts décoratifs


Une attention toute particulière se tourne vers les arts appliqués, dits « mineurs » : mobilier, verrerie et vitraux, céramique, bijoux, revues, publicités. Les formes s’inspirent des formes orientales et de l’esthétique japonaise. En effet, les relations commerciales avec le Japon étaient très fortes durant cette période. Ce sont surtout des estampes qui sont importées et leur influence est quasi immédiate. Celles-ci se différencient des compositions européennes grâce à des formes asymétriques de vagues, de monts et d’arbres s’inclinant au gré du vent.


Émile Gallé et l’École de Nancy :


J. Gruber, Vitrail, Les roses, vers 1906, Nancy, Musée de l'Ecole de Nancy

Nancy est un des centres les plus importants de l’Art Nouveau. L’Ecole de Nancy tire son nom du groupe des industries d’art de l’est de la France (1901) dont les tendances leur sont propres. Le groupe affirme le principe d’unité de l’art où la nature devient une inépuisable possibilité de renouvellement des arts décoratifs. Son but, comme à beaucoup d’autres, va être de « ré-enchanter » un monde vidé de ses légendes et croyances.


Émile Gallé (1846-1904) est une des figures les plus importantes du mouvement nancéien. Il crée d’abord en 1884 des ateliers d’ébénisterie puis une cristallerie où il multiplie les innovations décoratives et techniques. Par sa formation de botaniste, Gallé s’inspire largement des modèles naturels. Son originalité se retrouve ainsi dans les émaux translucides. Vers 1890, Émile Gallé se spécialise dans la superposition de couches de verre de différentes couleurs. Par l’influence du japonisme, il grave des reliefs polychromes afin d’obtenir des décors en camée (pierre fine ciselée aux formes en relief) aux motifs fleuris, fruitiers ou encore d’animaux.


Les affiches et la publicité art nouveau :


L’art de l’affiche connaît un essor considérable. Alfons Mucha (1860-1939) est un des artistes les plus connus de l’Art Nouveau. Ses compositions sensuelles dévoilent des femmes élégantes encadrées de fleurs et de bijoux, et à la longue chevelure rappelant celles des femmes peintes par les préraphaélites. Les motifs sont issus de la botanique, du folklore ou bien des sciences occultes. L’influence symboliste est également remarquable.


L’Art Nouveau international :


L’Art Nouveau est un style international. Il se retrouvera sous différents noms en Angleterre dans une moindre mesure (Liberty Style) ; en Italie (Stile Florale) ; en Espagne (Arte Joven ou Modernismo catalan), en Allemagne et Autriche (Jugenstil) etc. Ce style n’impose pas de normes mais prône la nouveauté et l’individualité. Il s’accorde aux formes et motifs régionaux d’art et d’architecture. Par cette souplesse, ce style est le moyen parfait d’expression des aspirations politiques et culturelles en tant que région ou pays.


Gaudi, Sagrada Familia, nef, 1882-, Barcelone

Le Modernismo catalan en est l’exemple. Barcelone surtout va largement s’exprimer grâce à l’Art Nouveau qui offre davantage de liberté et d’imagination, notamment à l’architecte Antoni Gaudi (1852-1926) et ses constructions organiques. Ce mouvement de renouvellement s’inscrit dans la Renaixença qui englobe toute la société catalane. Par ce style, la Catalogne, qui subit (encore aujourd’hui) une répression politique, linguistique et culturelle, pouvait alors revendiquer son autonomie d’une autre manière. Posséder un style neuf lui permettait également de se créer une identité nationale catalane.


Michail Eisenstein, Hotel particulier, 1902, Riga

A Riga, les Lettons ont pu démontrer par leurs édifices Art Nouveau et leurs motifs puisés dans les arts populaires le rejet du néoclassicisme qui rappelait l’ancien occupant russe.


L’Art Nouveau en Catalogne, en Lettonie mais aussi en Finlande a permis à ces pays en quête d’identité culturelle et d’indépendance de laisser une empreinte nouvelle sur l’architecture et les genres artistiques.


L’Art Nouveau, par sa liberté de création, a permis à un grand nombre d’artistes de créer et d’innover dans leur domaine. De plus, il témoigne d’une certaine ouverture d’esprit face à la nouveauté, de la part des artistes, acheteurs, commanditaires, marchands et collectionneurs d’art de l’époque. Après la Première Guerre mondiale, il s’essouffle au profit d’autres styles souvent plus sobres, permettant notamment de diminuer le prix de vente et d’élargir l’éventail social de la clientèle.



Par cet enchaînement du Préraphaélisme au Symbolisme, puis du mouvement Arts and Crafts à l’Art Nouveau, nous avons vu que chacun puise entre eux diverses inspirations afin de créer un style et une esthétique unique à chaque mouvement. Mais tous ont été motivé, au départ, par la forte réaction contre l’industrialisation qui s’accélère au XIXe siècle en Europe et modifient par exemple les modes de production avec la production de masse, à la chaîne.

Ainsi, les convergences esthétiques de ces mouvements sont multiples et ceux-ci structurent le paysage artistique fin-de-siècle, assurant même la transition dans le XXe siècle avec l’Art Nouveau.



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